Ciremya, journal de bord.
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    Thomas (Pilpouz)
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    Ciremya, journal de bord.

    par Thomas (Pilpouz) » mer. 17 mars 2010 22:30

    Bonjour chers amis passionnés de voile.
    J’ai découvert le week-end dernier deux véritables perles, un marin et un document, du genre de ceux dont nous sommes tous friands: un journal de bord…
    Dimanche 7 mars, « Pilpouz » est sorti en compagnie de « Mouille-Col »(Sun2000), son compagnon de jeu favori, rejoints par « Lascar » pour tirer des bords musclés autour de l’île aux oiseaux.
    « Lascar », amarré à côté de Pilpouz au port d’Arcachon, est un first 211 jaune, vêtu de voiles régate Elvstrom et affublé d’un bout dehors hors du commun. ( J’en parlerai un jour, ça devrait intéresser les mordus de l’asymétrique).
    Albert, propriétaire de « Lascar » fait partie de ces heureux jeunes retraités qui ont la chance de pouvoir se vouer à leur passion qu’est la plaisance à la voile . Engoncé dans sa veste de mer et coiffé de sa casquette bleu-marine de marin Breton, c’est un personnage humble et discret.
    Je ne le connaissais que par ouï-dire, par l’intermédiaire de Jean-Louis, patron de Mouille-Col et également voisin de ponton. Jean-Louis m’a téléphoné cette semaine en m’expliquant qu’Albert lui avait remis un extrait de son journal de bord et que celui-ci semblait très intéressant. Je n’ai pas résisté à la tentation et je l’ai à mon tour lu.
    Quel ne fut pas mon plaisir que de lire ces quelques pages ! Albert nous y décrit d’une jolie plume son escapade en solitaire avec « Ciremya », son ancien First22, remontant du bassin d’Arcachon au port de Royan.
    Au-delà d’un récit agréablement écrit dans lequel Albert nous livre simplement et généreusement ses craintes et ses satisfactions de «Petit» plaisancier, il y est décrit quelques éléments techniques assez intéressants pour les passionnés du First 18, frère cadet du First 22.
    J’ai de nouveau navigué en compagnie d’Albert aujourd’hui, et de retour au ponton, je n’ai pu m’empêcher de lui demander s’il accepterait de voir son journal publié sur le site de l’AP First18.
    Je pense qu’Albert sera heureux de répondre à nos éventuels commentaires et questions.
    Thomas (Pilpouz)

    Ciremya, journal de bord. Septembre 2002
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    PSYCHOLOGIE et MOTIVATIONS

    D ‘aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours été attiré par la vue des bateaux et plus particulièrement par celle des voiliers allant sur l’eau. Et quand j’étais gosse une de mes occupations favorites consistait à en fabriquer dans l’écorce de pins, avec un couteau, d’y fixer en leur centre un bout de bois formant le mât et un carré de papier pour la voile. Je préférais les faire naviguer dans la mare à côté de la maison. Le ruisseau ne me convenait pas. A-t-on déjà vu un voilier poussé violemment par le courant ? Non. J’aimais mieux voir mes maquettes poussées par le vent. C’était du vent arrière bien sûr mais ça avait quelque chose d’extraordinaire pour l’enfant que j’étais.
    Maintenant quand je fais remonter mon voilier au près enjouant avec le vent, cela me paraît toujours aussi magique.
    Parmi les facteurs qui m’ont fait choisir la voile comme hobby peut être faut-il y voir un atavisme, des ancêtres éloignés étaient-ils marins? Plus sérieusement, à l’origine, c’est surtout le fait d’avoir une activité qui rompt complètement avec la vie courante, je crois.
    L ‘homme a bien sûr besoin d’activité pour s ‘épanouir, mais a travailler dans une entreprise pour le compte des autres, commandé et dirigé par des gens que vous considérez moins compétents que vous n’a rien de très gratifiant! Mais que ne faut-il pas faire pour gagner sa vie!
    J’ai eu la chance de m’installer à mon compte et je me souviendrai toujours du grand bonheur et surtout de l’impression de liberté qui m’a envahi à ce moment là. Les risques de me planter étaient pourtant grands. Je dois remercier ici ma femme MARTHE, qui m’a soutenu et aidé de façon exemplaire pendant beaucoup de moments durs, et maintenant encore.
    Si je cherche à pousser plus avant ma réflexion, je dois dire aussi que je me plie plus volontiers aux inconvénients et caprices de la nature qu’à ceux des gens, et que si l’homme est fait pour vivre en société, il y une antinomie certaine entre la vie de groupe et l’individualisme de chacun. Mais je ne dois pas être le seul à penser ces choses là.

    DANS les BRAS de L’OGRE ENDORMI,
    Puis de CEUX de la NUIT

    Samedi 28 septembre j’ai écouté pour la énième fois la météo marine sur mon portable: elle apparaît excellente pour ce que j‘ai envie de faire depuis des années, et que je veux concrétiser depuis deux ou trois dimanches, à savoir « monter » mon bateau d’Arcachon à Royan. Courant modéré de sud-est force 2 à 3, jour et nuit sur 2 jours minimum, absence de houle, de plus le coef est très faible : 34
    L a première difficulté est de franchir les passes. Et là, les journées de franchissement sans trop de risques sont assez rares .Mais aujourd’hui avec ce vent annoncé de travers qui permettrait de rebrousser chemin le cas échéant, ce petit COEF, ça ne devrait pas être dangereux.
    Donc comme la plupart des samedi soir, je pars à Arcachon. Bien entendu je pourrais toujours renoncer Je n’ai aucune obligation, nul besoin de faire plaisir à d’éventuels équipiers en prenant des risques. Arrivé à Gujan, je m‘arrête à carrefour pour acheter de quoi manger : bolino, salade niçoise, pain complet, oranges, voilà pour la base. Pour la boisson, l’eau du robinet fera très bien l’affaire, 10 litres dans un bidon devraient être plus que suffisants.
    Comme d’habitude je vais rendre visite à CIREMYA avant de monter au studio ou je rapporte les deux batteries en vue de leur recharge. Hélas je déchante vite: j’ai oublié le chargeur à la maison ! Quel étourdi! Bon, il faudra que ça aille quand même je barrerai le plus souvent possible pour économiser le courant électrique du pilote.
    Vers midi, le lendemain Dimanche, je mets le cap sur le banc du Toulinguet. La marée sera basse vers 16 heures 30. J’arriverai trop tôt mais je mettrai à l’ancre dans le chenal. Ce sont des fonds qui accrochent bien. Au mouillage j’aurai le temps de manger, de faire la sieste et observer les passes à la jumelle.
    14 heures, j’essaie de dormir comme j’ai l’habitude de le faire à la maison, mais impossible, ça doit être les bruits familiers qui me manquent: bruits de fourchettes et discussions animées. Pourtant un bon roupillon d’une petite heure m’aurait permis de mieux résister à la nuit blanche que je vais m’imposer.
    Il est 16 heures, je jette plusieurs fois des coups d’œil dehors en direction des passes : deux puis trois voiliers prennent la direction de la sortie. Tout paraît calme. C’est pourtant pas la marée basse complète, moment qui me semble idéal, car sans conflit entre l’eau du bassin qui a fini de s’évacuer et le peu de houle du jour.

    Je décide d’y aller, je note l’heure, relève l’ancre, assure la caisse qui sert à la ranger avec la chaîne, par un bout au bas de descente, en même temps que l’essence du hors bord et l’eau du capitaine.
    En un tournemain je hisse la grand voile et le foc signés « Voilerie du Bassin » et je dirige l’étrave vers la sortie. Ca ne s’affole pas mais ça avance. Pas de problème, il n‘y a pas plus de clapot que dans la mare de mon enfance ! Etonnant non! Les médias à la télé ou dans la presse ne parlent que de la dangerosité du coin, jamais de certaines journées magnifiques comme aujourd’hui. Probablement parce que le récit des catastrophes et des phénomènes dangereux se vend beaucoup mieux que celui des journées de pur bonheur.
    Je ne prends même pas la peine d’aller virer le début du chenal. Renseigné sur le cap à suivre par le GPS, je lofe et me retrouve au largue au cap 04 presque plein nord. De toute façon le sondeur me donne la hauteur d’eau sous la quille: 6-7 mètres. Ce n ‘est pas beaucoup et il n ‘est pas du tout étonnant que par fort coef, quand les millions de mètres cubes qui sortent du bassin à marée descendante s’opposent à la grande houle du golfe, le coin devienne extrêmement dangereux avec si peu de hauteur d’eau.
    Mais aujourd’hui l’ogre est endormi et j’en profite.
    Un voilier navigue sur une route parallèle à la mienne et je suis heureux à l’idée que nous allons faire le chemin ensemble cette nuit avec les feux de route comme repères visuels. Mais déception, au bout d’une 1/2 heure il fait demi-tour et retourne sur Arcachon.
    Près de la presque-île du Cap-Ferret, un chalutier avance lentement, j’entends très bien son moteur, iI doit chaluter dans des eaux peu profondes. Je vais ainsi repérer plusieurs chalutiers assez près de la côte et jusqu’à la nuit. Ensuite je ne verrai plus que leurs feux et entendrai leurs moteurs.
    Mais pour l’instant le vent est faible et je vais changer le foc pour le génois. Bon, ça avance beaucoup mieux maintenant. Je branche le pilote, j’avale un peu de nourriture, une orange, de l’eau et je prends mes repères pour la nuit. Je prépare ma lampe frontale et la lampe torche, elles seront toujours à portée de main contre la cloison. Je vérifie si j’écran du GPS s’éclaire bien.
    Le bateau avance bien et le sentiment de joie qui est le mien en ce moment est tempéré par le souci du futur. N’est ce pas une entreprise un peu trop risquée pour moi? Mais si le vent ne cale pas, les heures vont passer et les milles succèderont aux milles. Demain matin je devrais avoir l’esprit plus serein à ma rentrée en Gironde ou même plus loin, qui sait.
    Le vent s’est un peu renforcé, je remplace le génois par le foc.

    Il est 20 heures et avec CIREMYA, on se laisse doucement envelopper par la nuit. Il fait très noir, la lune n’est pas encore montée à l’horizon. Le sillage s’étire, après le phare du Ferret, celui d’Hourtin apparaît.
    Je me rends compte des milles parcourus grâce au GPS. Maintenant nous avançons à 5 nœuds au largue sans presque gîter. Les lumières des villes côtières sont bien visibles : Lacanau Océan surtout, très illuminée et Hourtin beaucoup plus modestement, Montalivet encore loin. Et toujours le phare d’Hourtin au milieu. Avec les lampes je vérifie le cap suivi, à suivre, ainsi que la distance parcourue et à parcourir. Merci monsieur GPS ! Je règle les voiles à la lumière également. J’essaye de regarder autour du bateau: c’est glauque.
    22 heures, la lune qui est à son premier quartier sort lentement à l’horizon et finit par éclairer un peu. Le gouvernail forme à l’arrière un sillage phosphorescent remarquable. J’ai la hantise de l’objet flottant entre deux eaux: bille de bois ou autre. Le fait de ne pas avoir à penser à autre chose me laisse imaginer les pires risques. Le bateau est bien construit. Les options architecturales sont simples et éprouvées. Exemple: la quille n’a pas l’allongement de celle des prototypes mini transat récents. D’autre part, pour la sécurité, j’ai rendu insubmersible CIREMYA avec des pains de mousse polystyrène qui servent d’ordinaire à l’isolation des maisons. 800 litres à l’avant 800 litres à l’arrière. Cela permettrait au bateau de flotter au cas où et moi de rester accroché à l’épave. Du moins je l’espère. J’ai une radio portable 5 watts avec laquelle je pourrais envoyer un message de détresse éventuellement.
    Les heures passent, 23 heures, minuit, c’est maintenant au tour de Cordouan de me montrer son feu et d’indiquer le milieu de la Gironde.
    Je navigue à une distance d’environ 10 kilomètres de la côte landaise et il ne faut pas s’y tromper, il s’agit plus d’une traversée qui ressemble à un voyage vers la Corse qu’à une simple croisière côtière. La côte est parfaitement inhospitalière et dangereuse.
    Depuis plus de 2 heures une lumière blanche m’intrigue. Ce n‘est pas un phare puisque elle ne clignote pas, ni un bateau non plus, ça ne bouge pas

    ERRANCES DANS L’EMBOUCHURE DE LA GIRONDE

    La première partie du voyage s’est passée comme dans un rêve et la moyenne a été bonne puisque des passes jusqu’à près de la pointe de Graves, il ne m’a fallu que 11 heures malgré une période de calme en face du Ferret.
    Il est 3 heures, je vais me rendre enfin compte de ce qu’est cette grande lueur blanche surmontée d’un feu gyrophare qui m’intrigue depuis des heures, maintenant elle se rapproche et ma curiosité grandit. Autre chose qui forcit c’est le vent, et la mer n’est pas en reste, elle devient nettement agitée. Il me faut réduire d’abord au premier ris. Je suis au largue et ça cavale bien: 5,5 nœuds au GPS. Je me rapproche à environ 70 mètres de la lumière et là, surprise, je distingue un bateau de pêche dont je ne mesure pas très bien l’importance mais entouré d’une bonne dizaine de projecteurs qui éclairent très fort autour de la coque. Le moteur est en route pour produire l’électricité certainement, puisque le bateau est immobile. Bon sang mais c ‘est bien sûr, il pêche au lamparo! Mystère élucidé, je préfère m’éloigner pour le passer des fois qu’il y aurait un filet en plus.
    Une fois le pêcheur dépassé, je reprends mon option La Rochelle et je dois abattre largement pour parer sans danger La Coubre mais nous n’y sommes pas encore. Le vent forcit toujours, l’allure que je m’impose est proche du vent arrière et le foc est presque tout le temps déventé par la grand’ voile. J’irais aussi vite sans le foc et je l’économiserais vu qu’il faseye très fort par moments et sa toile très raide supporte mal ce traitement. Je l’affale donc, manœuvre assez simple, il me suffit de larguer la drisse et de tirer sur un bout de 6 mm fixé sur le point de drisse et passant par le point d’amure, tout ceci depuis le cockpit. Le plus délicat est d’aller rabanter la voile à quatre pattes au milieu de la plage avant. C’est toujours bien moins dangereux que d’aller à l’étrave avec le fort clapot et en pleine nuit. Je marche à plus de 5 nœuds presque au vent arrière, tribord amures.
    Il est 4 heures, je me donne un temps de réflexion. Le vent a encore monté. Ca remue pas mal. Je regarde la carte après avoir confié la barre au pilote, ça représente un long chemin pour le pertuis d’Antioche. En plus je n‘ai pas pris la météo depuis hier matin. Je sais, nous sommes dans une belle période, un flux de sud-est modéré portant. Mais tout de même, il ne faudrait pas qu’il se renforce de trop. Avant de partir j’avais pris deux points d’atterrissage sur mon GPS, le premier, baptisé Graves, qui est en fait la bouée G scintillante de la passe sud. L‘autre, baptisé Ouest, qui est la première bouée de la passe Ouest.

    Au GPS, la bouée G est à 4 milles, l’autre beaucoup plus loin et là d’où je viens, du sud, ça paraît beaucoup moins agité, je décide: je tente la passe sud.
    Le GPS m’indique le cap à suivre, et il me faut lofer pas mal, me mettre presque au près. Mais je n‘éprouve pas le besoin de renvoyer le foc. Je n ‘ai pas besoin d’aller vite, au contraire, il va me falloir perdre du temps car je ne vais pas tenter le passage avant le jour. Arrivé à proximité de la bouée scintillante que m’indique le GPS, je fais deux long bords de largue sans perdre de vue la marque.
    Voila, le jour se lève maintenant: 7 heures 30, 7 heures 45, ça commence à s’éclairer du côté du Verdon par grandes lueurs et je me rends compte du clapot assez fort et du vent largement force 5. Je marche à 5 nœuds et c’est bien suffisant pour entreprendre cette navigation entre les bancs de sable de ce coin de Gironde et vers Royan. Le GPS m’a conduit à la bouée d’atterrissage avec une précision diabolique, mais j’ai commis l’erreur de ne rentrer qu’un seul way point, pensant qu’à partir de la bouée je pourrai voir les autres qui balisent le chenal. Les instructions nautiques m’indiquent le cap à suivre. Il me faut faire du 63°. J’avance donc au compas mais au bout d’un moment je suis déçu: alors que je perds la marque de départ de vue, je n’en vois nulle autre à l’horizon et le phare de Cordouan s’est considérablement rapproché! Je regrette amèrement de ne pas avoir rentré d’autres way points pour cette route. Mais c‘est trop tard, ça remue trop et je n’ai vraiment pas la tête à le faire maintenant. A la maison, au calme oui, mais là non! Heureusement que le sondeur est là pour me rassurer: 10 mètres ça n’est pas beaucoup mais en faisant un parfait demi-tour il n’y a pas de risques.
    Donc la dernière solution, la seule que je puisse envisager mais longue et là ou je vais rencontrer la mer la plus forte, c’est de contourner Cordouan et d’aller emprunter la passe ouest. Celle ci est assez sûre car draguée à moins 18 mètres pour permettre aux cargos et pétroliers de remonter jusqu’au Verdon et même jusqu’à Bordeaux. De plus, elle est très bien balisée avec des bouées vertes et rouges très visibles. Pour accéder à cette passe, je dois contourner largement le plateau rocheux de Cordouan pour bénéficier de hauteurs d’eaux suffisantes et ne pas risquer de déferlantes, ce coin n’ayant pas bonne réputation. Le timing est encore bon mais il ne me faut pas perdre de temps: 12 milles à parcourir, si tout va bien un peu plus de 2 heures; cela me ferait arriver vers 10 heures 45 au chenal, avec encore 3 heures de courant portant. Pour remonter ensuite sur Royan, ce sera du près bien sûr, mais d’un seul bord, je l’espère.
    Allez, c’est décidé on y va. Je me dis que je ne suis pas à la hauteur de tant d’hésitations mais ça me parait le plus sage et le danger absolu pour moi serait de m’échouer sur un banc de sable.
    Je reprends l’allure qui était la mienne en pleine nuit, c’est à dire presque plein vent arrière et cette fois avec 2 ris.

    J’essaye d’arrondir un maximum Cordouan et je navigue dans 25, 30 mètres. Au bout d’un moment, peut être demi-heure, les conditions sont devenues assez stressantes car le clapot, si on peut appeler ça du clapot, s’est amplifié. J’évalue sans crainte d’exagérer, la hauteur des vagues à 2 mètres, c’est à dire plus que ma hauteur. Le spectacle de ces vagues, qui arrivent en ordre serré est certainement intéressant, mais je dois dire que je ne l’apprécie pas à sa juste valeur!
    A cette allure, le bateau qui n’est plus appuyé par la voilure roule énormément. Le mât décrit un mouvement d’une sacrée amplitude dans le ciel. Il y a longtemps que j’ai mis la porte et que je me suis attaché. Je suis obligé de me cramponner au chandelier le plus proche si je ne veux pas être projeté sur le banc opposé. Une certaine anxiété m’habite et je me rassure comme je peux, rien d’alarmant toutefois, CIREMYA, quoique étant un petit bateau, est bien lesté et je sens très bien le mouvement de rappel franc que donnent les 420 kilos de la quille. La vue de la mer qui m’arrive de l’arrière me stresse franchement et j’évite de regarder trop derrière. Mais malgré les grands mouvements de pendule, le bateau va bien, la barre n’est pas dure, je peux même mettre le pilote pour regarder la carte, le GPS.
    Non, ce qui m’inquiète c’est que j’ai peur de la formation de déferlantes, je ne suis pas un habitué du coin. En fait je perçois bien le caractère scabreux des conditions actuelles: les eaux de la Gironde qui sortent, sont en opposition avec la marée qui rentre. Cela a un nom: la barre. Mais aujourd’hui le coef est faible, de même que le débit de la Garonne...
    Nous marchons largement assez vite, les 12 nautiques devraient être couverts en 2 heures. Je pense qu’à trois sur le bateau et avec un peu moins de mer nous pourrions porter le spi et ce serait le planning assuré. Mais je suis tout seul et pour l’heure je n’ai vraiment pas envie de jouer au dur. Je me dis que si tout reste en l’état tout se passera bien.
    Je commence à me dévisser les yeux pour essayer d’apercevoir les deux premières bouées mais même avec les jumelles, rien. Je suis bien seul et je n’aperçois que le haut du phare de Cordouan, tour grise plantée au milieu de la mer. Les minutes passent, bon toujours rien mais ça ne devrait pas tarder!
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    LA MONTEE DU COL

    Oui, là bas, et même à l’œil nu une espèce de barre sort distinctement de l’eau puis une deuxième apparaît. Ce sont bien les deux premières bouées du chenal! D’ailleurs un chalutier passe entre les deux marques pour sortir.
    Il est 10 heures 50 environ, l’anxiété laisse place à plus de confiance, cela est probablement dû au fait que je vais rentrer dans le chenal et qu’il va me falloir agir. Après être passé à côté de la première bouée verte je lofe pour voir si je peux embouquer le chenal d’un seul bord comme je l’espère. Mais là déception ! Il va me falloir tirer des bords jusqu’à Royan. Ca promet!
    L‘état psychologique s’est nettement amélioré et pourtant je sais qu‘il me reste quelque chose de dur à accomplir: 15 milles au louvoyage, c’est à dire plus du double en route directe au près avec le vent et la mer du moment.
    Autant dire que je suis dans la situation d’un grimpeur qui attaque le Galibier et je n’ai pas le temps d’avoir d’état d’âme!
    Il me faut mettre du charbon et renvoyer le foc si je veux faire un près correct et efficace, mais compte tenu du vent je ne l’enverrai qu’au premier ris.
    J’ai fait deux adaptations qui me paraissent intéressantes sur CIREMYA : la première, je vais la décrire maintenant, l’autre plus tard. J’ai mis un deuxième étai jointif au premier de façon à avoir deux focs faciles à envoyer parce que les mousquetons de l’un et de l’autre sont toujours à poste. Pour changer je n’aurai ainsi besoin que de tirer sur le bout pour affaler la voile à poste puis d’aller permuter la drisse, enfin de rabanter celui qui sera hors service. C’est tout de même bien plus rapide et surtout moins dangereux que d’effectuer un changement classique. Le foc en stand by peut être soit le génois efficace pour le petit temps ou le débridé, soit un petit foc pour la grosse brise. Bien sûr la monte d’un enrouleur résoudrait ces problèmes, mais celui qui doté d’un joli foc a régaté contre un bateau ayant ce genre d’accessoire comprendra.
    Pour l’heure, il me faut vérifier si ma thèse tient la route. Je prends donc le ris du foc VB à l’aide d’un bout depuis le cockpit, le bout passant par l’axe du point d’amure. Je défais le raban qui tient la voile dans les filières, tire un peu sur l’écoute puis fortement sur la drisse, effectue quelques réglages, le bateau se trouve prêt à escalader le col en danseuse.
    Après deux bords, je me rends compte que « ça va le faire ».
    J’ai une pensée pleine de gratitude pour l’architecte et le maître voilier de CIREMYA. Je dois dire que le barreur ne me semble pas mal au risque de le faire rougir. La grand ’voile même au deuxième ris conserve une belle forme et un creux intéressant en haut grâce à sa latte forcée. Il est bien d’avoir un certain rond de chute et un creux si l’on veut pallier la traînée importante du mât et d’autant plus importante que la voilure est réduite. Je fais vriller la voile qui est bien creuse à l’aide de la petite barre d’écoute au fond du cockpit et en mollissant l’écoute à la demande. Quant au foc, je ne le borde pas trop pour conserver du creux également.
    Les bords s‘enchaînent et les bouées reculent doucement. La tâche est énorme et il me faudra du temps mais je ne manque pas de courage et d’ailleurs comment pourrais-je en manquer! Bien sûr ça serai bien plus facile s’il y avait moins de mer. Les vagues sont assez régulières et ça ne mouille pas trop. J’aurais dû quand même prendre un pantalon de ciré, le blue-jean est humide mais il ne fait pas froid et il sèchera plus tard ! Le génois rabanté dans les filières se mouille copieusement, ça n’est pas trop grave. La difficulté est de virer et je dois choisir le moment pour ne pas me trouver en face d’une lame qui ne manquerait pas de m’arrêter. Au début, le bateau tapait en retombant lourdement dans le creux de certaines vagues. J’ai résolu le problème en abattant dans la pente opposée pour retomber en douceur dans le creux.
    Quand j’arrive à Bonne Anse, je croise un grand catamaran de croisière d’au mois 25 mètres. Celui-ci est au moteur, voiles rabantées. Un signe de la main, on se comprend entre marins, la cylindrée et le budget ne sont pas les mêmes, mais ça n’est pas un problème.
    Là maintenant, le portable redevient fonctionnel et j’essaie d’appeler Bernard et ça marche, l’inquiétude est grande à la maison. Je n’ai pas averti Marthe et je n’ai pu donner de mes nouvelles depuis hier soir. Je dis à Bernard que je le rappellerai vers 15 heures quand j’arriverai à Royan.
    Mais je ne vais pas tarder à comprendre que ce bel optimisme ne correspond pas du tout à la réalité. Ce n ‘est pas demain que la nature se pliera aux désirs des uns et des autres. Vers 14 heures le vent tombe petit à petit, le courant s’inverse et le plan d’eau s’aplatit. Je ne sais pas ce qui a commencé, mais si le calme de la mer me plait bien, les deux autres phénomènes ne me conviennent pas du tout ! Et il me faut bien l’admettre, je me mets à tirer des bords de plus en plus carrés.
    Bon il va falloir tester le petit Mercury 3,3 cv qui correspond mieux à une annexe qu’à un bateau de 1T2.
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    Et là, je dois expliquer ma deuxième transformation sur CIREMYA : comme sur nombre de petits bateaux de 7 mètres et moins, la pelle de safran en contreplaqué dépasse du tableau et ne permet pas d’installer le hors-bord autrement que sur le côté. L‘hélice travaille bien sur un bord mais très mal sur l’autre. J’ai donc décidé sur CIREMYA de reconfigurer le gouvernail à la mode d’un gouvernail installé sous voûte avec une mèche en acier fixée à l’aide de la tige inox initiale. La pelle de safran en contreplaqué est complètement immergée et l’ensemble permet de fixer la chaise moteur au centre du tableau. Il m’a fallu déporter un peu le hors-bord vers l’arrière et adapter une petite poulie pour pouvoir le démarrer en tirant verticalement sur la cordelette. L’hélice travaille ainsi aussi bien d’un bord que de l’autre. Et surtout je peux m’en servir pour appuyer le bateau sous voiles au près.
    Il est maintenant 16 heures et nous sommes tout juste en face de St Palais. Je démarre le moteur et je continue également sous voiles, toujours au louvoyage. Au bout d’un moment, je préfère affaler pour faire la route directe. Et malgré le courant bien établi, le vaillant petit Mercury m’emmène au port de Royan. Il est 18 heures 30 ce lundi 30 septembre quand je finis d’amarrer CIREMYA au ponton d’accueil. Je m’écroule sur la couchette après avoir donné un dernier coup de fil à la famille et avalé un bolino. Je suis formidablement heureux et je m’endors d’un coup. Demain est un autre jour !
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  • Catherine (Kornog)
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    Re: Ciremya, journal de bord.

    par Catherine (Kornog) » jeu. 18 mars 2010 16:30

    Merci Thomas
    Je partage ton analyse du journal de bord de Ciremya.
    Probablement qu'Albert nous aidera à aller un peu plus loin dans l'accomplissement de nos rêves d'aventures, qu'il en soit remercié.
    Comme tu le disais on entrevoit des solutions techniques à explorer.
    A propos de l' "insubmersibilité", il serait intéressant de connaitre la démarche qui a permis à
    Albert de déterminer le volume de polystyrène à utiliser.
    Sa modification concernant la pelle de safran est-elle compatible avec le béquillage?
    Amicalement.

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